http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/11/24/01016-20131124ARTFIG00221-eoliennes-des-maires-attaques-pour-conflit-d-interets.php
Des opposants à l'énergie éolienne font la chasse aux maires
qui ont voté l'installation de parcs sur leur commune tout en étant
propriétaires des parcelles, ce qui rapporte aux élus concernés plusieurs
dizaines de milliers d'euros par an.
Un tremblement de terre dans l'éolien. C'est ce qui menace
la filière, déjà prise dans la tempête avec l'opposition croissante et de plus
en plus organisée des Nimby, ces riverains qui contestent un projet local
d'intérêt général dont l'acronyme signifie «Not In My BackYard» («pas dans mon
arrière-cour»). Après la multiplication des recours en justice contre les
projets de construction et même l'obtention, récemment, en première instance,
de la démolition d'un parc dans le Nord pour nuisances malgré sa parfaite
légalité administrative, les Nimby vont aujourd'hui un cran plus loin.
À la veille des élections municipales, ils dégainent une
autre arme: la chasse aux maires qui, juge et partie, ont voté l'installation
de parcs éoliens sur leur commune tout en étant propriétaires de parcelles
qu'ils louent aux opérateurs éoliens. Des baux allant de vingt à trente ans en
moyenne, pouvant rapporter à l'élu jusqu'à 100.000 euros annuels dans ses
caisses personnelles. Et ils sont nombreux, maires, présidents de communauté de
communes (CDC) ou conseillers municipaux - à en juger les dossiers consultés
par Le Figaro - à s'exposer au conflit d'intérêt, prise illégale d'intérêt et
recel de prise illégale d'intérêt visés par les articles 432-12 du Code pénal
et l'article 2131-11 du Code général des collectivités territoriales.
Le fait, pour un élu, «de recevoir (…) directement ou
indirectement, un intérêt quelconque (…) dans une opération dont elle a, au
moment de l'acte (…), la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la
liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000
euros d'amende», dit le Code pénal. Pour autant, le statut d'élu n'interdit pas
en soi tout contrat ou bénéfice personnel lié à une installation sur sa
commune. Seulement, l'élu doit le générer dans un cadre strictement privé, hors
sa qualité de maire et, lors de l'exercice de ses fonctions, ne pas participer
aux votes ni délibérations sur le projet, affirme le Code général des
collectivités territoriales.
Mais pas seulement… Toute influence en amont aussi, comme le
simple fait de «proposer, préparer, présenter des rapports ou avis, en vue de
décisions prises par d'autres personnes mais qui lui bénéficient», affirme un
juriste, auteur au Dalloz. Du pain bénit pour les citoyens réfractaires aux
parcs éoliens, qui se mettent à multiplier poursuites pénales et procédures
administratives, galvanisés par les lobbies comme Vent de Colère qui leur
adressent des «notes d'action», mode d'emploi et argumentaire juridique à
l'appui.
Un élu du Pas-de-Calais gagne 108.000 euros par an pour les
10 mâts installés sur son terrain
Un cas emblématique s'apprête à faire du bruit dans le
Landerneau. Jeudi dernier, le parquet d'Arras a été saisi pour poursuivre le
maire d'une petite commune du Pas-de-Calais, propriétaire de terrains où 5
éoliennes, sur un parc de 10, sont implantées depuis 2007, après un vote
favorable du conseil municipal. La dénonciation de «prise illégale d'intérêt,
délit continu, tentative, recel et complicité de recel» émane de ce couple de
châtelains, médiatisé le 17 septembre dernier pour avoir obtenu la démolition
du parc entier (nos éditions du 14 octobre 2013). Rarissime, cette décision
avait été remarquée, même si ce jugement de première instance fait aujourd'hui
l'objet d'un appel de la part de l'opérateur, la Compagnie du Vent (GDF Suez).
Avec une rentabilité de 900 euros mensuels par éolienne,
l'élu visé par la requête au procureur gagne 54.000 euros par an. Si le PV de
délibérations du conseil municipal atteste bien qu'il a quitté la salle juste
avant le vote d'implantation du projet, il notifie aussi que c'est après avoir
pris soin d'exposer tout «l'intérêt des énergies renouvelables, la situation
géographique, les intérêts financiers pour la commune et la communauté de
communes». «Il est quand même singulier de constater le nombre impressionnant
de maires qui, comme par extraordinaire, se retrouvent du jour au lendemain
bailleurs de promoteurs éoliens pour leur seul profit, s'étonne Me Philippe
Bodereau, avocat du couple. Aussi est-il grand temps que l'hypocrisie tombe
enfin.»
Dans une commune voisine, un autre parc éolien de 10 mâts
rapporte 108.000 euros annuels à un autre élu. Les mêmes cas sont observés en
Bretagne, en Basse-Normandie, en Haute-Loire, dans les Ardennes, les
Deux-Sèvres ou encore l'Hérault où des enquêtes préliminaires ont été ouvertes
ces mois derniers. Si bien que certaines associations réclament «un audit national
de tous les projets où les élus sont impliqués personnellement», à l'instar de
Fabien Bouglé, président de Défense de l'Environnement de la région de Briouze
et Rânes, dans l'Orne. Les opérateurs éoliens pourraient quant à eux, dans
certains cas, être poursuivis pour complicité. Parfois, le bail privé de
l'édile est «la condition sine qua non pour qu'il donne son accord au projet
d'installation», avoue l'ingénieur d'une grande compagnie d'énergie qui a
assisté à ces tractations.
Pour ces maires flirtant avec les baux juteux de l'éolien,
des condamnations ont déjà été prononcées. En juillet dernier, à Ally
(Haute-Loire), la maire et deux conseillers municipaux ont été condamnés à une
peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende délictuelle
de 8000 euros. L'an passé, c'est une élue de Saint-Georges-d'Annebecq, dans
l'Orne, qui, dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité, a dû verser 1000 euros d'amende. Au départ, douze autres élus
étaient visés par l'enquête préliminaire. Mais malgré l'infraction attestée,
les faits ont été jugés prescrits par le procureur.
À l'association des maires de France (AMF), c'est le silence
radio sur le sujet malgré les nombreuses relances. Alors que l'office de police
de l'Union européenne vient de dévoiler que le secteur de l'éolien est
totalement infiltré par le crime organisé - notamment après la saisie de 1,3
milliard d'actifs éoliens à la mafia calabraise -, la tempête judiciaire vient
fragiliser encore la filière et ternir son image d'énergie propre.