le 7 janvier 2013
Aux adhérents de la Fédération Environnement Durable
ARTICLE DANS LA REVUE LES ECHOS
Eolien : la guerre des clans
Recours, procès, lobbying… Entre partisans et adversaires de l'éolien, la bataille fait rage sur le sol français. Et commence à faire de gros dégâts chez les industriels du secteur, qui ont de plus en plus de mal à faire aboutir leurs projets.
Pascal Garnier pour « Les Echos »
Henri Stoll n'a toujours pas digéré sa défaite. Maire de Kaysersberg en Alsace, cet élu Europe Ecologie-Les Verts tente depuis une décennie d'implanter un parc d'éoliennes au col du Bonhomme, à mi-chemin entre Saint-Dié, dans les Vosges, et Colmar, dans le Haut-Rhin. « De quoi approvisionner 20.000 personnes en électricité, assure-t-il,mais aussi injecter 20 millions d'euros dans l'économie de la vallée. » Seulement voilà… En août dernier, son projet est tombé à l'eau.
Déterminés à préserver le massif forestier de la crête des Vosges, d'autres écologistes, regroupés en une vingtaine d'associations et soutenus par Antoine Waechter, candidat des Verts à l'élection présidentielle de 1988, ont obtenu l'annulation de l'arrêté préfectoral autorisant le défrichement de 2,8 hectares pour y implanter 5 éoliennes de 139 mètres de haut. Le motif ? Tancé par la Commission européenne, qui s'inquiétait de l'impact potentiel de ces machines sur le devenir du grand tétras - un coq de bruyère dont la population régresse -, le ministère de l'Agriculture a brutalement fait machine arrière, demandant au préfet de revoir sa copie.
Henri Stoll veut pourtant encore y croire. « Aussi longtemps que je vivrai, ce projet ne sera pas abandonné », tonne le maire, évoquant de nouvelles demandes de rendez-vous auprès des ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie pour plaider la cause des éoliennes. Son problème, c'est que ses opposants affichent la même résolution. Ainsi d'Antoine Chonion, l'un de leurs chefs de file. « Les élus locaux favorables au projet ne désarment pas, mais nous non plus », prévient ce chef d'entreprise de Remiremont, prêt si nécessaire à reprendre le combat et, au-delà du cas particulier du col du Bonhomme, résolu à faire capoter d'autres projets dans les forêts vosgiennes. « En échange d'un intérêt économique très minime, ces éoliennes font peser un trop grand risque sur les paysages, la faune, la flore ou le tourisme », craint-il.
« Préjudice esthétique de dégradation de l'environnement »
Cette lutte entre pro et antiéoliens le long de la ligne bleue des Vosges est loin d'être un cas isolé. Soutenus par l'Unesco, les opposants à cette forme d'énergie renouvelable ont obtenu l'abandon de cinq projets autour du Mont-Saint-Michel ; le dernier en date était situé à 25 kilomètres au sud de ce site classé au patrimoine mondial. Des projets autour de Vézelay, la « colline éternelle » chère à Maurice Druon, ou près des plages du Débarquement font également l'objet d'une féroce bataille entre les deux camps. Et depuis peu, des parcs en activité sont eux aussi sous pression, au civil comme au pénal. Au civil : à Flers, dans le Pas-de-Calais, le propriétaire d'un château du XVIIIe siècle a obtenu du tribunal de grande instance de Montpellier que la Compagnie du Vent, une filiale de GDF Suez dont le siège est dans l'Hérault, démonte dix éoliennes responsables d'un « préjudice esthétique de dégradation de l'environnement résultant d'une dénaturation totale d'un paysage bucolique et champêtre ». Une première qui devra toutefois être confirmée, ou non, en appel. Quant au pénal, deux jugements récents pourraient faire jurisprudence. Dans l'Orne, une élue municipale a été condamnée à 1.000 euros d'amende pour prise illégale d'intérêt ; elle avait participé à des délibérations sur un projet d'éoliennes alors qu'elle possédait des terres dans la zone d'implantation, susceptibles, donc, de lui rapporter des loyers de la part de l'exploitant. Et en Haute-Loire, trois élus d'une même commune ont été, pour les mêmes motifs, frappés chacun de quatre mois de prison avec sursis et 8.000 euros d'amende pour recel de prise illégale d'intérêt. Les faits étaient prescrits, mais le recel peut être invoqué tant que la personne mise en cause tire des revenus de la présence d'éoliennes sur sa propriété. Soit pendant toute la durée du bail…
Si Don Quichotte se battait en pure perte contre les moulins à vent, cette action multiforme des anti-éoliens fait, elle, de gros dégâts chez les industriels. Après une croissance phénoménale entre 2005 et 2010, le rythme des nouvelles mises en service s'est ainsi brutalement ralenti depuis. Au total, souligne Yvon André, vice-président du Syndicat des énergies renouvelables et directeur général délégué d'EDF Energies Nouvelles (deuxième acteur de l'éolien terrestre en France derrière GDF Suez), « notre industrie n'aura raccordé au réseau que près de 500 mégawatts cette année, contre plus de 1.200 en 2010 ». Au train où vont les choses, « la France risque donc de n'avoir que 12 à 13 gigawatts de capacité éolienne terrestre installée en 2020, contre l'objectif de 19 fixé par les pouvoirs publics dans le cadre des engagements européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Des exemples de blocage ? « Sur 10 dossiers que nous développons chez EDF Energies Nouvelles, la moitié font l'objet de recours administratifs, et un tiers sont annulés ou abandonnés. » Et la gestation est de plus en plus longue pour ceux qui finissent par voir le jour : il se sera écoulé onze ans, par exemple, entre le dépôt du permis de construire et la mise en service du parc éolien de Fraïsse-sur-Agout, dans l'Hérault.
Des opposants très organisés
Pourtant, plaide Frédéric Lanoë, président de France énergie éolienne (FEE, un syndicat qui représente plutôt les petits acteurs du secteur), « selon un sondage Ipsos de décembre 2012, 68 % des interrogés sont prêts à accepter des éoliennes dans leur commune ». Mais, face à eux, les opposants sont remarquablement organisés. Ainsi de la Fédération environnement durable (FED), que préside Jean-Louis Butré, un cadre retraité de l'industrie pharmaceutique qui a embrassé la cause des antiéoliens après avoir appris qu'existait un projet dans son village natal, près de Poitiers. « Nous relayons 900 associations sur notre site Internet, dit-il, depuis la grosse structure jusqu'au petit blog en Ariège. Nous mettons à leur disposition des kits complets de conseils pour bloquer un projet. Nous pouvons aussi alerter très rapidement les réseaux amis, comme des associations de défense du patrimoine. Et nous bénéficions de l'assistance d'experts dans tous les domaines (juridique, financier, technique…) pour réfuter les arguments des pro-éoliens. »
Farouche défenseur de l'énergie éolienne, l'avocat Arnaud Gossement l'admet : « Nous avons face à nous des personnes ayant un bon, voire un très bon niveau d'argumentation juridique. » Sa force, la famille antiéolienne la tire selon lui de la diversité de ses membres. Au niveau local, le propriétaire d'une résidence secondaire, refusant que l'on touche au paysage, côtoie l'agriculteur déçu d'apprendre qu'il ne percevra pas de loyer car les éoliennes en projet seront implantées sur les terres de son voisin. Et, au niveau national, se retrouvent des tenants du modèle énergétique centralisé reposant largement sur le nucléaire, mais aussi des écologistes aussi bien opposés à l'éolien qu'au nucléaire, ou encore des adeptes de l'économie libérale dénonçant le modèle économique de l'éolien, qui, par définition, ne produit de l'électricité que quand il y a du vent et ne peut pas encore se passer de subventions.
Bataille de la communication
Grâce à cette organisation à deux étages, les antiéoliens ont remporté nombre de victoires locales ces dernières années, mais aussi deux autres d'impact national. La première a porté sur la communication. Alors que le secteur se reposait sur son image spontanément bucolique - il parlait de « fermes » et de « parcs » éoliens -, ses opposants ont contre-attaqué en mettant en avant son caractère industriel, n'employant plus par exemple le terme « éolienne » mais « aérogénérateur », et insistant sur ses nuisances. Or, de l'industrie à la réglementation industrielle, il n'y a qu'un pas : depuis la loi Grenelle II de juillet 2010, il ne suffit plus d'un permis de construire délivré par le préfet pour lancer un parc éolien. Il faut aussi, au même titre qu'un incinérateur ou une décharge, obtenir une autorisation dite ICPE réglementant les installations agricoles ou industrielles susceptibles de porter atteinte à l'environnement. Ce qui rallonge considérablement les délais d'instruction et augmente les possibilités de recours.
Deuxième victoire déterminante, remportée par l'association Vent de colère ! : l'attaque au portefeuille. En soutenant que l'arrêté tarifaire de 2008 fixant le prix avantageux (8,2 centimes par kilowattheure) auquel EDF achète l'électricité éolienne produite constitue une aide d'Etat, et qu'en conséquence le gouvernement aurait dû notifier cet arrêté à la Commission européenne, l'association a semé le doute chez les banquiers. Avant de poursuivre leur engagement dans le financement de projets, nombre d'entre eux préfèrent attendre l'issue de cette affaire juridiquement très complexe.
Face à ces attaques tous azimuts, le lobby de l'éolien terrestre ne reste évidemment pas inerte, tentant en premier lieu d'assouplir l'empilement de normes qui fournit une excellente matière à ses opposants pour déposer des recours en tout genre. Dans le cadre de la loi Brottes de mars 2013, ont ainsi été supprimées les « zones de développement de l'éolien », un cadre administratif apparu en 2010, ainsi que l'interdiction de créer des parcs contenant moins de cinq mâts. Par ailleurs, la profession espère la validation prochaine, par les députés, d'une sorte de guichet unique qui, dans certaines régions expérimentales, traiterait un même dossier dans tous ses aspects réglementaires. Dans le même temps cependant, de nouvelles contraintes peuvent apparaître : l'armée de l'air, s'étonne-t-on au Syndicat des énergies renouvelables, tenterait par exemple de faire valider des zones dites « Voltac » (pour les vols tactiques) et « Setba » (pour les vols d'entraînement à basse altitude) d'où les éoliennes seraient exclues et couvrant de vastes portions du territoire.
Pour Arnaud Gossement, la profession ne pourra cependant pas se contenter d'obtenir des assouplissements réglementaires si elle veut rebondir. « Nous devons reprendre en main la communication, la pédagogie, réexpliquer l'éolien au grand public et aux élus », estime-t-il. L'association France énergie éolienne, qui vient d'adopter une charte éthique, commence à en prendre le chemin. Et chez GDF Suez, on insiste sur la nécessité de nouer un dialogue constructif avec les riverains, lequel peut se concrétiser, selon les cas, par l'accueil d'un actionnariat local dans le capital d'un parc. Mais mieux faire accepter les éoliennes sur le terrain ne suffira pas. Pour reconquérir les opposants sur une plus vaste échelle, la profession devra aussi leur démontrer que, après des années de subventions, l'éolien terrestre devient économiquement intéressant. Cette dernière partie est loin d'être gagnée. Globalement, les grands opérateurs sont prêts à abandonner le système des tarifs d'achat d'électricité garantis au profit de procédures moins gourmandes en mécanismes de soutien. Ils répondent ainsi à la demande de Bruxelles et au souhait exprimé par François Hollande, le 20 septembre dernier, lors de la conférence environnementale. Mais les plus petits acteurs s'accrochent au modèle actuel de la rente. Décidément, l'éolien divise tout le monde. Même ses partisans…
Claude Barjonet
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